La dévalorisation de l'enseignement universitaire
Par David Monniaux le mardi, mai 1 2012, 14:47 - Enseignement - Lien permanent
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En résumé : à l'exception de certaines disciplines particulières (médecine), les licences universitaires se voient assignées par le gouvernement le rôle de parking pour ex-lycéens, y compris ceux qui savent à peine lire, écrire et compter et en sortiront sans tirer grand chose de leur formation ni avoir un diplôme qui leur permettra de trouver un emploi. Le gouvernement de droite et le « syndicat étudiant » UNEF NdDM: rappelons que les élections ... sont sur ce point des alliés objectifs : il s'agit de donner à moindres frais la licence à une grande proportion des inscrits, et ce indépendamment de leur niveau réel. Malgré les prétentions à l'autonomie des universités, on corsètera donc celles-ci au niveau des choix d'enseignement et d'évaluation, et on imposera donc aux enseignants du supérieur des règles de fonctionnement maximisant le nombre de diplômés. Ce choix politique n'est aucunement facteur de démocratisation de l'enseignement supérieur : les parents qui savent ce qui est bon pour leur progéniture les envoient vers les formations sélectives et notamment les grandes écoles.
Peut-être le trait est-il forcé... mais il y a sans doute quelque chose de vrai là-dedans. Par exemple, est-il bien raisonnable de donner un M1 maths/info à un étudiant dont le niveau en maths n'attend pas celui d'un élève de maths sup et qui sait à peine programmer ? Est-il raisonnable de faire venir dans des formations des étudiants étrangers qui n'en ont pas les prérequis (ce qui n'est d'ailleurs pas de leur faute), ou qui ont des difficultés de langue qui les empêchent de suivre les cours ?
Suis-je réactionnaire si je dis que tout cours se base sur des prérequis et que l'on ne peut éternellement recommencer les fondamentaux ? Si je dis que tout enseignement suppose un minimum d'attention et de travail par les étudiants ?
PS Vous pouvez réagir en me disant que je suis réactionnaire, élitiste, etc. :-) En résumé, ma position : il y a en France un fétichisme de la formation initiale, qui veut qu'il faut qu'elle soit longue, et ce indépendamment des goûts des étudiants, de leurs aptitudes et des besoins en emploi ; derrière tout cela il y a un dégoût culturel pour la formation professionnalisante ou « appliquée » (ou, pire, le travail manuel).
Commentaires
Raisonnez en manager : l'école déverse sur le marché du travail chaque année des centaines de milliers de jeunes très majoritairement inemployables, et peu désireux de prendre en charge leur existence eux-mêmes, et peu enclins à s'expatrier.
Essayons d'éviter de chercher des coupables à cet état de fait et restons-en au constat.
Qu'en faire ? L'université offre une solution économique, de dimension adaptée au volume du problème pour laisser une chance supplémentaires à ces jeunes de trouver leur voie.
L'erreur que nous commettons collectivement est peut-être de recruter des universitaires à l'université ?
@Liberal: Voulez-vous dire qu'il faudrait recruter des professeurs du secondaire pour faire à l'université ce que l'on faisait naguère au lycée ?
Dans la fac où je bosse (UK), les consignes sont claires : au moins 60% de réussite aux partiels et une exemption d'examen si les partiels et les devoirs maisons sont assez bons (les lecturers n'ayant pas le droit d'employer des TAs pour corriger les examens alors que c'est le cas pour les partiels, ça leur facilite la tâche...). Et bien sûr des sessions de rattrapages ensuite pour ceux qui n'ont *vraiment* rien glandé.
Au final on a 3 ou 4 types de mention de BSc et il est plus ou moins clair que ceux qui sont dans les deux derniers niveaux sont considérés comme inemployables par les patrons.
Et nos élèves sont heureux de payer 3k£ par an pour ça...
Un point de détail : s'il y a 10% de participation aux élections étudiantes, on ne peut rien dire des 90% qui ne se sont pas exprimés. Peut-être l'UNEF a-t-elle des positions qui rejoignent celles de ces 90%, on l'ignore. On ne peut pas savoir quelle fraction des étudiants l'UNEF représente vraiment.
"n'attend pas" -> "n'atteint pas" ?
J'ai lu la tribune -sur le fond j'y retrouve un certain nombre de choses que je vis, comme enseignant du supérieur- mais, comme d'ailleurs certains commentateurs sur le site du Monde, je me suis focalisé sur le colossalement fin et délicat "l'ingrate tâche d'accueillir les gros bataillons des bacheliers les moins bien outillés, les égarés, les pauvres et les étrangers venus d'Afrique".
Il faut bien dire les choses comme je le pense, abrité derrière mon prudent anonymat : c'est quoi ce connard qui parle là ? J'ai des étudiants "pauvres" et des étudiants "venus d'Afrique" et je n'ai jamais trouvé que ma tâche en était pour autant rendue "ingrate".
Je suis de plus en plus dégoûté par Le Monde qui publie ce genre de merde comme si c'était banal (voir aussi dans leur numéro d'avant le premier tour le délicat "Nous refusons de changer de civilisation" par Renaud Camus, ode à Marine Le Pen.
Comme toutes les personnes vieillissantes (enfin la plupart) je suis interloqué de l'évolution de ce qui m'entoure...
(Désolé du hors sujet, mais c'est franchement ce que j'ai retenu de cette tribune que j'ai lue en début d'après-midi).
"Suis-je réactionnaire si je dis que tout cours se base sur des prérequis et que l'on ne peut éternellement recommencer les fondamentaux ? Si je dis que tout enseignement suppose un minimum d'attention et de travail par les étudiants ?"
Non non. Maintenant, le problème reste entier. Je veux dire, la dérive qu'ils décrivent est bien sûr inquiétante. Di plumé d'une grande école, je me considère comme un privilégié.
Mais se contenter de dire qu'il faut traiter les bacheliers comme des imbéciles parce que le bac ne vaut rien, ça ne résout rien. Pour moi l'important, c'est de faire ce genre de constat en ayant pour motivation d'améliorer la formation des étudiants actuels, pas de les rabaisser.
Je ne trouve pas que cette phrase soit particulièrement négative ou raciste. Il se plaint du fait que l'université est obligée d'accueillir les étudiants les plus fragiles, ceux dont ne veulent pas les filières sélectives, alors qu'il n'y a pas de moyens pour. (Il y a beaucoup d'Africains en droit (surtout à Aix).)
Et on finit par en arriver là : http://danstonchat.com/13076.html
@DM
J'approuve le fond du message.
Mais l'alternance à venir ne va en rien améliorer tout ça pour le coup...
Le point est qu'il faudrait définir les formations suivant les qualités à avoir plutôt que sur le nombre de personnes à être diplômé.
En somme, l'inflation n'a jamais été un solution aux problèmes économiques. Dévaluer la valeur d'un diplôme ne rend pas plus cultivé les citoyens...
En fait ce que tu décris, c'est ce que j'appelle le "syndrome Laurent Schwartz": comment concilier une forme de progressisme, voire une appartenance claire "à gauche", alors que l'on souhaite et fait clairement la promotion de l'excellence universitaire ?
Schwartz, membre du parti communiste, mais clairement en faveur de la sélection à l'université n'a jamais su réconcilier ces deux aspirations, ni arriver à les rendre audibles parmi les siens.
@David Monniaux; Si vous posez sérieusement la question, ma réponse serait plutôt de dire qu'il ne me semblerait pas adéquat de recruter parmi les corps impliqués dans le constat auquel on espère remédier par l'université.
Par contre, je ne suis pas certain que le recrutement universitaire sélectionne les personnes les plus désireuses d'apporter aux générations montantes les perspectives que l'école ne suffit manifestement pas à leur fournir. Il serait certainement possible d'aller plus loin sur ce constat s'il est comme il me semble partagé.
@Guils: C'est un peu compliqué. D'après ce que j'entends des collègues : les étudiants de certains pays africains qui rentrent en L1 sont plus forts en mathématiques que les étudiants français, d'une part car une bonne partie des français de bon niveau vont en prépa, d'autre part parce que les pays africains appliquent grosso modo d'ancien programmes français d'avant les réformes qui ont vidé de sa substance l'enseignement mathématique au lycée.
En revanche, ceux qui rentrent plus haut ont de grandes difficultés, en raison notamment de la déliquescence des systèmes d'enseignement supérieur dans ces pays (manque de moyens, difficulté à trouver des enseignants...). Par exemple, ils peuvent avoir fait des études avec une part d'informatique mais sans presque avoir programmé, faute de moyens informatiques.
Je rejoins toutefois Jean-Louis T. sur le fait que cette phrase, même si elle a un fond de vérité, est inutilement dédaigneuse blessante : on ne tranche pas à l'emporte-pièce de questions pareilles.
@Libéral: Vous semblez rendre les enseignants du secondaire responsables de la situation qui y règne (rejoignant ici une antienne de droite sur les « enseignants laxistes »). Il convient alors de rappeler que les enseignants du secondaire appliquent les programmes et les instructions de leur ministère de tutelle (même si certains prennent des libertés avec ceux-ci). Ainsi, ce ne sont clairement pas les collègues enseignant de mathématiques dans le secondaire qui ont décidé de vider l'enseignement de cette discipline de sa substance.
Je posais cette question parce que je me demande, au vu des revendications de l'UNEF, si leur idéal de l'université n'est pas un super-lycée : des programmes nationaux (voir protestation contre la diversité des licences), une quasi assurance d'obtenir son diplôme (via de multiples rattrapages, équivalences, compensation et procédures d'appel), etc.
@FBLR: Je doute fort en effet que l'alternance y change grand chose.
Je ne rends personne en particulier responsable de l'impréparation à l'existence des générations montantes en social-démocratie, donc, avec typiquement (mais pas nécessairement) quelques dizaines d'années de service comme salarié. Je constate juste qu'il semblerait un peu vain de demander à l'un ou l'autre parmi les multiples acteurs concernés (qu'il s'agisse des parents de tels ou tels enseignants, de la télévision, des jeux vidéos qu'importe) d'y remédier.
Mais ne pas avoir de solution toute faite au problème n'interdit pas d'imaginer pour autant de mettre fin à une solution identifiée comme mauvaise. Si l'université ne fonctionne pas avec la population qu'on lui confie, cessons de la lui confier et ayant un peu foi en l'homme.
"il y a en France un fétichisme de la formation initiale" : pas qu'en france, les états unis sont exactement dans le même état, c'est simplement l'effet de l'inflation des notes et de la dévaluation des diplômes.
Faites un tour sur ce site ( http://collegemisery.blogspot.com/ ) , qui décrit le blues des enseignants US, il y a même une expression consacrée pour designer les étudiants qui servent juste à remplir les chaises et payer la "tuition" : les "snowflakes", parce qu'ils sont jolis, mignons tout plein et fondent au premier problème.
Quelques exemples récents :
- http://collegemisery.blogspot.fr/20...
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Les affirmations méritent d'être nuancés, mais on ne peut nier que l'enseignement universitaire (et la licence en particulier) est très malade.
Malheureusement, je suis très pessimiste sur le sujet. En dehors des (mauvaises) solutions toutes faites et des discours simplistes (et orientés idéologiquement), il n'y a aucun débat constructif. Je commence même à douter qu'il puisse y en avoir un. Chacun se focalise sur "un" responsable (la non-sélection, le bac bradé, la dualité GE/fac, les EC, et j'en oublie certainement) alors que c'est un système global qui est à revoir.
Si je devais faire un peu de pub, je dirais que la proposition des IES (cf http://blog.educpros.fr/pierreduboi... ), qui consisterait en gros à regrouper dans des instituts extra-universitaires, sélectifs par filière (tout bachelier peut être pris, mais pas n'importe où et avec plus de places en études courtes), à programmes nationaux et avec des enseignants purs l'ensemble des premiers cycles du supérieur (CPGE, IUT, BTS et licences), me parait la proposition de réforme la plus cohérente (même si je n'en apprécie pas tous les aspects). Mais elle me parait aussi envisageable que, disons, la transformation de l 'Elysée en parc d'attractions.
@DM:
bien sûr que c'est l'objectif de l'UNEF: quoi de moins discriminatoire qu'un diplome pour tous. Si le niveau baisse, augmentons les moyens! Dans une vision qui en devient théologique: le salut viendra par les moyens. Si les moyens augmentent mais pas le niveau, c'est qu'ils n'ont pas augmenté assez.
Pour politiques, parents, élèves et profs dans une bien moindre mesure, la grande braderie, ça évite de réfléchir aux enjeux de la démocratisation, du sens de l'école, autrement qu'en termes simplistes. Si seuls comptent les moyens, comme ils sont limités, on accepte de facto l'échec de l'école faute de mieux. Comme c'est confortable!
Quelles sont les causes de l'effondrement général? Certes il y en a plusieurs, mais à mon sens ça commence au primaire. On ne sait pas traiter l'échec autrement que par le redoublement, qui ne marche pas. Les méthodes globales et autres pédagogismes n'ont rien dû arranger, d'ailleurs. J'ajoute ensuite le collège unique, qui interdit le traitement différencié des difficultés. Etc, etc, jusqu'en licence...
ce commentaire d'humeur est probablement assez injuste, mais j'assume