Un curieux déséquilibre dans les critiques
Par David Monniaux le dimanche, avril 29 2012, 09:56 - Recherche scientifique - Lien permanent
(Attention, billet un peu corporatiste, mais je pense avec du vrai contenu factuel.)
J'entends fréquemment des critiques, surtout à droite de l'échiquier politique, contre le système français de recherche : sa faiblesse serait que, contrairement aux États-Unis, une partie importante de la recherche aurait lieu dans des organismes de recherche tels que le CNRS, et non dans les universités. Qu'importe que les équipes CNRS soient très souvent implantées dans les universités, qu'elles renforcent ; qu'importe que les enseignants-chercheurs universitaires n'aient pas le temps de faire de la recherche, car lourdement chargés de cours et surtout de gestion administrative. Il s'agit d'expliquer qu'il faut supprimer le CNRS.
Curieusement, personne ne parle de supprimer le CEA. Celui-ci a depuis longtemps dépassé le champ de l'énergie nucléaire, et même des énergies alternatives : il fait également, par exemple, de la biologie et de l'informatique. De fait, il se comporte comme une sorte de centre national de la recherche scientifique & technologique, avec un positionnement plus « transfert industriel » que le CNRS.
À ma connaissance :
- Ses chercheurs sont mieux payés que les chercheurs CNRS et les enseignants-chercheurs (d'accord, ces derniers sont fonctionnaires et les chercheurs CEA contractuels de droit public, mais avez-vous déjà vu un chercheur CEA se faire renvoyer ?).
- Il a d'important frais de structure en raison notamment d'une hiérarchie et d'une bureaucratie pléthoriques.
- Il se dit « auto-financé » mais une bonne partie de cet « auto-financement » provient de projets financés par l'Agence nationale de la recherche ou l'Union européenne, autrement dit il s'agit d'argent public.
C'est exactement le modèle d'une recherche bureaucratique, coûteuse et déconnectée des universités que certains politiciens dénoncent quand ils parlent du CNRS. Pourquoi ne parlent-ils jamais du CEA ?
J'ai une petite théorie au sujet de l'hostilité anti-CNRS : outre un vieux fond poujadiste, anti-intellectuels et anti-fonctionnaires, elle pourrait être motivée par l'existence de chercheurs en sciences sociales intervenant dans les médias notamment pour contredire les affirmations factuelles de certains politiciens sur les sujets sociaux. Ceci expliquerait que l'on parle plus du CNRS que de l'INSERM, INRIA, INRA, IRD, etc., dont les chercheurs s'occupent en général d'activités plus « techniques ».
NB Dans ce billet, je ne prône nullement la suppression du CEA, je m'interroge simplement sur les raisons pour lesquelles certains critiquent certains instituts et jamais d'autres.
Commentaires
Tout simplement parce que quand on veut abattre un chateau, on tape sur ce qui est fragile.
Le CEA suivra.
Personne ne parle de supprimer le CEA? Pourtant, certains courants de pensée ne sont pas spécialement favorables au domaine revendiqué comme central pendant longtemps. À tel point que ça amené à le rebaptiser d'un nom plus politiquement correct. Et là, il n'est pas tellement question d'organisation, c'est bien le fond de la recherche qui est visé.
Le CEA se finance sans doute sur fonds publics, mais il a aussi été capable de valoriser ses brevets ... Alors, effectivement sa proximité avec l'industrie l'aide sans doute pas mal aux yeux des politiques de droite. De façon similaire, je ne suis pas sûr que l'industrie du logiciel voie d'un bon oeil l'éventuelle disparition de l'INRIA...
Tout simplement parce que le CEA fait déjà, peu ou prou, exactement la recherche que voudrait le gouvernement actuel. Peu de recherche fondamentale, tout est concentré sur le transfert industriel à court ou moyen terme. Les projets français et européens sont utilisés pour financer les labos, mais une unité ne grossit (en nombre de chercheurs) que si sa part de financement industriel direct grossit également. Et si effectivement personne ou presque n'est jamais renvoyé, les thématiques qui semblent ne pas produire de résultats sont clôturées, et les chercheurs associés réorientées dans d'autres unités.
Et j'ajouterais que les frais de structures ne sont pas forcément liés à une bureaucratie qui a bien maigri depuis des années, mais à des installations (d'ailleurs en partie gérées avec le CNRS, l'INSERM ou autre) : as-tu une idée de l'infrastructure nécessaire (et du coût associé) pour faire fonctionner Atalante, Phébus ou Osiris ?
Après, effectivement, le CEA en informatique, bof...
@Proteos: Il existe en effet des courants de pensée, voire des courants politiques, hostiles au CEA. À Grenoble, on trouvera ainsi Pièces & Main d'Œuvre, ou encore le journal Le Postillon. On peut aussi supposer que les Verts ne voient guère le CEA d'un bon œil... mais quel poids politique ? 2,31% au premier tour de la présidentielle. Par comparaison, il me semble avoir vu dans le programme de l'UMP la suppression des postes de directeur de recherche au CNRS.
@EP30: La hiérarchie et les frais de structure élevés, on m'en parle y compris en informatique, justement... D'où mon questionnement !
@David Monniaux:
Soyons aussi très clairs: vous reprochez à l'UMP de vouloir supprimer la recherche en sciences sociales au CNRS (ou ailleurs) sous couvert de réduire la bureaucratie.
Je remarque simplement que dans l'accord Verts-Ps, il est écrit:
"La recherche publique (notamment l’activité du CEAEA) sera réorientée prioritairement vers l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, leur intégration dans le réseau et les moyens de stockage, ainsi que vers la maîtrise du risque nucléaire (sûreté, déchets, démantèlement)."
Dit autrement, pas de Génération IV, plus de travail autre que ce qui irait dans le sens de la gestion de la fin du nucléaire. C'est un point d'accord entre PS et Verts.
Il ne m'a pas semblé que le PS était un parti négligeable dans la vie politique française, contrairement aux Verts, où on peut parfois se poser la question. Les thèses des Verts ont aussi un attrait qui va bien au-delà de leur seul parti, c'est particulièrement notable dans ce domaine.
Dans le cas du programme de l'UMP et du PS on voit là des choix assumés. Vous pouvez me dire que l'accord Verts-PS restera lettre morte, mais alors, je peux vous que le programme de l'UMP aussi: si on considère que les programmes ne valent pas le papier sur lequel ils sont imprimés, c'est valable des 2 côtés.
Je maintiens donc mon point: il existe bien des gens, et pas que des hurluberlus, qui réclament — et ouvertement — la fin de certains pans de recherche, historiquement centraux, au CEA.
@Proteos: Je ne fais pas exactement le reproche que vous citez, notamment parce que je ne pense pas que l'UMP ait une position unifiée là-dessus.
Voici cependant mes soupçons :
- Une partie des électeurs et des élus de droite n'aiment pas la recherche non appliquée car il s'agit d'après eux d'activités d'intellectuels déconnectés de la réalité et sans intérêt pour la société.
- Comme ils ne peuvent pas faire explicitement ce reproche sous peine de se voir taxés de poujadisme et d'anti-intellectualisme, ils masquent cela derrière une volonté de réforme des structures de la recherche, de lutte contre les bureaucraties centralisées et les « archaïsmes ».
- Ils n'aiment pas la recherche en sciences sociales car a) elle contredit une partie de leurs prétentions sur la justice, l'état de la société, etc. b) elle est selon eux remplie de gauchistes partisans.
S'attaquer au CNRS, c'est s'attaquer à un symbole — qui a entendu parler de l'INRIA, à part les informaticiens et les mathématiciens ?Vous avez raison: vous ne mettez pas toute l'UMP dans le même sac. Ma généralisation est abusive.
Cependant vous soupçonnez bien une partie de l'UMP de ne pas vouloir de la recherche en sciences sociales. Cette partie vous semble aussi opposée à ce qu'on pourrait qualifier de recherche fondamentale. Je pense que vous êtes dans le vrai sur ce sujet.
Reste que votre post tourne aussi autour de l'assertion "personne ne parle de supprimer le CEA". Or il me semble bien que dans ce domaine, vous ayez tort: les activités du CEA sont contestées dans ce qu'elles ont de plus historique. Et d'ailleurs c'est aussi un symbole.
Votre réponse à mon premier commentaire laisse aussi penser qu'on ne peut influer sur les recherches menées si on n'a pas le soutien d'un grand parti derrière soi. Je pense que là aussi vous avez tort.
1/ le CEA a officiellement changé de nom, alors même que la recherche sur les semi-conducteurs (un exemple parmi d'autres) y était déjà présente depuis longtemps et qu'elle ne concerne que très partiellement les "énergies alternatives".
2/ l'exemple des OGMs montre qu'une campagne — en l'occurrence incluant du vandalisme — menée par assez peu de gens peut aboutir à la fin de certains pans de la recherche publique en France.
Donc même en admettant que personne d'autre que les Verts ne veut la fin du CEA et qu'ils sont marginaux, ça ne veut pas dire qu'ils n'arriveront pas à leurs fins.
@Proteos: En effet, vous avez raison : même si l'on doit plus s'inquiéter quand une proposition émane d'un parti de gouvernement (et même de l'actuel parti de gouvernement) que d'un parti qui fait 2,31% des voix, les idées de ce dernier peuvent cependant diffuser et influencer d'autres groupes, d'autres partis.
Dites, juger un parti mineur parceque il ne fait que 2,31 % des voix à l'election présidentielle, c'est un peu court.
Rappelons en effet que la présidentielle :
- incite à l'ultrapersonalisation de la politique
- Incite au "vote utile" (en réalité inutile, mais c'est un autre débat) et biaise les résultats.
Pour mesure le poids d'un parti dans la société, il faut peser son poids à toutes les elections, sa stabilité dans le temps. On ne peut pas faire ainsi un mesure au pied leve (ou doigt mouillé).
Et je ne dit pas cela seulement parceque je suis membre d'EELV.
Quant à la question de la position sur la recherche publique venant d'EELV, je vous invite à lire la site de sa commission enseignement supérieure et recherche, ainsi que Marc Lipinski, Les sciences, un enjeu citoyen. Une politique écologiste de la recherche et de l'innovation, Paris, Les Petits matins, 2012.
Et effectivement, nous pensons que la recherche publique, que ce soit dans le domaine de l'energie ou de l'agronomie doit être reorientée, car elle favorise largement les grands groupes au détriment de l'interêt commun. Nous sommes pour une interaction entre la recherche publique et les citoyens, et considérons par exemple qu'il n'est pas sain de semer en plein champs des graines transgénique dont on ne sait ni les conséquences à long terme, ni la manière dont elles se diffusent dans l'environnement.
Par ailleurs, comme vous le soulignez à juste titre, l'influence d'un parti ne se mesure pas qu'à son seul score electoral.
@DM
Petite précision. Vous dîtes:
"Ses chercheurs sont mieux payés que les chercheurs CNRS et les enseignants-chercheurs (d'accord, ces derniers sont fonctionnaires et les chercheurs CEA contractuels de droit public, mais avez-vous déjà vu un chercheur CEA se faire renvoyer ?).
"
Le principal point n'est pas l'engagement de l'état en termes d'assurance chômage qui bien entendu doit être nul ou quasi-nul.
Non, ce qui fait que ces statuts sont différents en termes de coûts sont les engagements de retraites bien plus favorables du statut "fonctionnaire" que du régime commun. Faites un jour le calcul de valeur actuelle nette suivant l'un ou l'autre des régimes. Vous serez saisi, surtout quand on a en tête l'espérance de vie d'un agent public, notamment dans l'enseignement supérieur, qui est très grande.
Dans ce statut, on paie plus la personne en retraite que pendant sa période d'activité (oui c'est fou...): cela crée des déséquilibres sur les comptes de l'état, qu'il n'arrive pas à rétablir. Pour information, la réforme de l'abolition des régimes spéciaux attend depuis 1958.
C'est aussi une des raisons pour laquelle il est souvent fait mention du CNRS plutôt que du CEA.
AMHA, le problème du CNRS, c'est qu'il est peu "lisible",comme les universités: un article, une découverte, brevet,... estampillé CEA, INRIA, INSERM ou autre, c'est quand mêem plus parlant et plus visible que "Unité mixte de recherche CNRS/Université truc/institut machin".
@Maïeul: ben oui, aux dernières nouvelles, 2,31% ça reste mineur et très minoritaire, même si je sais que ça fait peu plaisir à certains khmers verts qui voudraient bien imposer leurs vues à tout le monde (et ils y arrivent malheureusement, cf les OGM)
@Nono : la question est de savoir quel poids joue l'élection présidentielle. Les écologistes pèsent beaucoup plus sur les elections à la proportionnel, ou l'effet vote utile ne joue pas. Ce n'est donc pas une question de ne pas être content du résultat du vote, mais de ce demander quel est la légitimité de ce vote pour analyser le poids d'un parti dans la vie politique. Et cela est valable quelque soit le parti.