Les 25% de la « redevance copie privée »
Par David Monniaux le jeudi, février 9 2012, 13:17 - DADVSI - Lien permanent
Une réaction à ce billet.
Une « redevance copie privée » ou « compensation équitable » est levée sur certains supports et appareils électroniques. Elle est censée compensée les pertes pour les auteurs et artistes dues à l'exercice du droit de copie privée. Elle est levée au profit d'organismes privés, les SPRD (sociétés de perception et de répartition des droits).
J'estime que cette redevance pose un problème de nomenclature. On parle souvent de "redevance copie privée" ; or, une redevance est perçue en compensation d'un service (par exemple, pour occupation du domaine public). Le caractère forfaitaire de cette redevance (perçue indépendamment de l'usage réel des supports visés par l'usager final) peut déjà poser problème ; mais après tout, la redevance TV était perçue que l'usager regarde les chaînes publiques ou non.
Plus ennuyeux : 25% de cette redevance sont affectés à des activités de soutien à la création (spectacle vivant, etc.) sans lien avec une quelconque compensation. Il s'agit, de fait, d'une activité de subvention culturelle que la puissance publique délègue à des personnes privées (les SPRD). C'est un système qui ressemble donc très fortement au système, abrogé, de la parafiscalité (par exemple, des taxes sur les carburants qui finançaient l'Institut français du pétrole). Je peux bien sûr me tromper, mais il me semble que les SPRD peuvent répartir ces sommes à leur guise, tant qu'il s'agit de soutien à la création, et ce sans contrôle démocratique (rappelons qu'il s'agit de prélèvement obligatoire sur les achats des citoyens), si ce n'est éventuellement le contrôle de leurs dirigeants par leurs membres (rappelons que les intérêts tant de leurs dirigeants que de leurs membres ne se confondent pas avec ceux du reste des citoyens).
Vous me direz, est-ce bien différent du système des subventions indirectes aux associations à caractère culturel, via les remises d'impôt sur le revenu (60% des dons) ? Il me semble qu'il y a quelque chose de fondamentalement différent. Le citoyen a le choix de donner à telle ou telle association au vu des activités de celle-ci. En revanche, l'acheteur de support ou de bien électronique n'a pas la possibilité de choisir la SPRD qui touchera son argent, et encore moins de comment celle-ci répartira les sommes.
Il est bien connu que le pouvoir réside largement dans la possibilité d'attribuer arbitrairement des financements (par opposition à gérer des budgets importants, mais aux dépenses largement récurrentes et contraintes). Autrement dit, il me semble logique qu'avec ces financements qu'elles attribuent à leur guise, les SPRD ont un pouvoir considérable dans les milieux de la création, économiquement fragiles. Elles peuvent faire preuve de leur munificence (il suffit de voir leurs logos qui ornent, comme sponsors, les affiches de divers spectacles), c'est facile pour elles : ce sont des sommes qu'elles prélèvent obligatoirement sur les citoyens !
Prenons maintenant le cas d'un élu dont la ville héberge un festival dont le budget est bouclé avec l'aide de certaines SPRD, qui peuvent se retirer à leur guise d'une année à l'autre. Peut-il ensuite être libre de son vote au Parlement, quand il s'agira d'examiner des lois sur le droit d'auteur ?
(Note : ne voyez dans ce qui précède aucune attaque contre les SPRD ou leurs dirigeants. J'essaye juste de préciser le sens des mots, et je m'interroge sur des mécanismes économiques et sociaux. Travaillant dans un domaine où se posent sans cesse des problèmes de conflits d'intérêts, je suis sensible à ceux-ci et à leur apparence.)
Commentaires
Bonjour,
Je pense avoir de quoi satisfaire votre curiosité.
1) Le ministère de la culture a répertorié les SPRD :
http://www.culturecommunication.gou...
2) Comme ces structures sont reconnues d'utilité publique, la Cour des Comptes a pleine compétence pour auditer leurs comptes (entrés-sorties des fonds, ventilation entre les artistes etc) :
http://www.ccomptes.fr/fr/CPCSPRD/A...
3) ce qui me contrarie le plus, c'est que cette gestion contrôlée des droits d'auteurs dans leur ensemble n'est supervisée que depuis 2001 par la CC grâce à une loi datant de l'an 2000. Avant, c'était le "grand secret" d'où la colère régulière de certains artistes. Pour l’anecdote, la SACEM existe depuis le 19ès.
Un rapport datant de 2000 explique les soucis auxquels les législateurs ont tenté de remédier :
http://www.culture.gouv.fr/culture/...
J'espère avoir répondu à vos interrogations.
J'avais oublié l'exemption de taxe pour les professionnels, avec textes législatifs et références : http://calamiite.wordpress.com/2011...
@fultrix: Ce n'est pas la Cour des Comptes qui les audite, c'est la commission de contrôle des SPRD, il est vrai placée près de Cour des Comptes. Les SPRD ont bien insisté pour que ce ne soit pas la CdC elle-même, au motif que c'est de l'argent privé et que la CdC ne doit pas s'en mêler (motif assez spécieux d'ailleurs, vu que la CdC contrôle aussi les associations faisant appel à la générosité du public).
J'ai lu plusieurs des rapports de cette commission, qui a plusieurs reprises a déploré les importants coûts de fonctionnement de certaines SPRD, et a souligné que certains cadres dirigeants avaient des salaires élevés (ce qui me fait dire que les intérêts des dirigeants ne coïncident pas forcément avec ceux des membres).
Je ne suggère nullement que les sommes du 25% pour la Création sont détournées. Je constate simplement que le fait de pouvoir discrétionnairement attribuer les sommes à tel ou tel festival, tel ou tel spectacle, donne du pouvoir (de la même façon qu'un scientifique a du pouvoir s'il est dans les instances qui attribuent les financements).
Nous sommes d'accord.
En fait, cette taxe pose des problèmes pires que ce que vous dites. La commission ad hoc est en fait contrôlée par les ayant-droits, ce qui fait qu'ils ont le droit de fixer le montant et l'assiette d'un impôt. Ils décident aussi selon leur bon vouloir de jusqu'où aller pour récupérer cet impôt.
Il paraît que les parlements ont été créés pour éviter que le souverain et a fortiori des personnes privées ne s'arrogent le droit de lever des impôts, prétendûment pour éviter un trop grand arbitraire. Dérive, qu'évidemment, la commission ad hoc a évitée.
Merci pour vos précisions.
Je vais en discuter avec quelqu'un de plus calé que moi en la matière.
Par contre, lecture fait de l'article L 321-13 du code de propriété intellectuelle, http://www.legifrance.gouv.fr/affic... ,je ne comprends pas votre réflexion sur la "mainmise" des sociétés d'ayant-droit sur la structure de contrôle hébergée par la cour des comptes... sauf à comparer les auteurs du rapport Mariani-Ducray et les membres composant la commission permanente ?
www.ccomptes.fr/fr/CPCSPRD/OrganisatCPCSPRDion.html
http://www.culture.gouv.fr/culture/...
Je ne sais pas à quelle mainmise vous faites allusion; je n'ai nulle part employé ce mot.
J'ai lu trop vite, il s'agissait du commentaire 8, désolée !
"commission ad hoc est en fait contrôlée par les ayant-droits"
@fultrix: C'est différent. Le commentateur semble dire que la commission qui fixe le montant de la redevance copie privée pour chaque type de support est contrôlée par les ayant-droit, et que c'est un scandale, car en France, en théorie, les taxes sont fixées par la loi, donc par le Parlement, et non par des commissions représentant des intérêts privés.