Et pendant ce temps, à Rio...
Par David Monniaux le dimanche, novembre 28 2010, 21:40 - Société - Lien permanent
Les médias français titrent sur les interventions des forces de l'ordre dans les favelas de Rio de Janeiro, avec, dit-on avec surprise, l'usage de blindés et d'hélicoptères. Ces interventions sont en effet surprenantes par leur ampleur, et par l'intervention de l'armée fédérale. Cependant, quiconque s'est intéressé, ne serait-ce que superficiellement, à la situation brésilienne sait bien que les interventions policières avec armes automatiques, blindés et hélicoptères, sont relativement fréquentes dans certaines grandes villes.
Cet épisode me rappelle une réflexion de Richard Feynman (que, je sais, je cite fréquemment), dont je rappelle qu'il s'agissait d'un prix Nobel de physique avec un certain franc parler. Il avait été envoyé au Brésil en mission officielle, car l'on pensait que le sous-développement était dû à un retard technologique ou scientifique. Il avait observé que les problèmes réels de pauvreté étaient liés à des décisions politico-économiques, comme le choix de ne pas mettre d'arrivée d'eau potable vers les collines des favelas — ce qui, compte tenu de l'état du Brésil, ne posait aucun problème technologique. Il était donc revenu en disant que sa mission ne servait à rien. On a considéré qu'il manquait de tact.
Le Brésil dispose d'une industrie aérienne de classe mondiale (Embraer). Aucune contradiction avec la pauvreté des favelas de Rio, ou la misère du Nordeste. La technologie ne peut pas tout, sans la volonté politique et le temps.
Commentaires
Il fallait bien être "americain-jamais-sorti-de-sa-cote-est" pour croire que le Brésil de l'époque ne savait pas poser un robinet....
La cause la plus évidente aux problèmes de pauvreté au Brésil (enfin, je parle d'après lecture de quelques ouvrages spécialisés, pas en expert) est que le pouvoir a longtemps été corrompu, inféodé à de grands propriétaires, et n'a pas voulu faire de réforme agraire (p.ex. dans le Nordeste) ou s'occuper des pauvres sur les collines de Rio, dont on faisait comme s'ils n'existaient pas. On ne peut pas revenir en quelques années sur des décennies de négligence. Qui plus est, les mesures qu'il faudrait envisager mécontenteraient ceux qui profitent du statu quo... Et comment les États-Unis, en pleine guerre froide, auraient-il pu soutenir des mesures socialisantes ?
Quand on connaît la cause d'un problème mais qu'on ne peut l'admettre, une solution est d'affecter de chercher ailleurs. Autrement dit, __il est probable que ceux qui commanditaient la visite de Feynman savaient qu'elle ne servait à rien.__
Je dis souvent qu'il ne faut pas prendre pour de la malignité ce qui n'est que de l'incompétence ou de la bêtise. Cependant, une personne intelligente, surtout un haut fonctionnaire, peut fort rationnellement appliquer des décision apparemment stupides : il suffit que le but réel de ces décisions ne soit pas le but affiché. Le but d'une décision n'est pas forcément de résoudre le problème qu'elle résout prétendument, mais peut simplement être d'avoir quelque chose à raconter dans un bilan.
Prenons par exemple les indicateurs chiffrés de performance qui ne mesurent pas grand chose. Les fonctionnaires qui les traitent (disons les hauts-fonctionnaires, les X-Corps etc.) savent fort bien ce qu'il en est ; il ne faut pas les prendre pour des imbéciles. Mais que peuvent-ils faire ?
"C'est sans doute plus compliqué. "
Non tu crois? ;)
"Mais que peuvent-ils faire ?"
Essayez de gerer le pays en percant des trous dans les oeillères?
Bien sûr que la visiste de Dieu_de_la_physique ne servait à rien.
Quand je disais "Il fallait bien être "americain-jamais-sorti-de-sa-cote-est" pour croire que le Brésil de l'époque ne savait pas poser un robinet" je ne parlais pas des types qui l'ont envoyés mais des gens qui ont cru que c'était pour cela...
Grossièrement parlant (je suis bien conscient que je schématise et généralise, mais j'écris un commentaire de blog et non un traité de sociologie), parmi les croyances répandues chez les américains, il y a l'attirance pour les dernières technologies, et l'action civilisatrice de leur pays.
Pour le premier point, il n'est qu'à constater que parmi les arguments contre les réformes des assurances santé suscitées par le président Obama, il y a la peur de ne pas pouvoir bénéficier des tous derniers traitements. Qu'importe, au fond, que l'on n'ait pas vraiment démontré que ces traitements, coûteux, aient un effet sensiblement meilleur que les traitements précédemment disponibles. Ainsi, je crois comprendre que pour certaines opérations de la prostate, les patients fortunés plébiscitent le robot chirurgical, investissement très coûteux pour les hôpitaux, alors qu'il ne semble pas fournir un résultat meilleur qu'une opération manuelle. (*)
Pour le second point, voir le nombre de personnes qui croyaient, et croient encore, que le peuple vietnamien désirait la présence américaine pour le protéger du joug communiste, ou que les irakiens allaient magiquement se transformer en petits démocrates une fois Saddam Hussein déposé. Voir aussi les reproches faits par certains américains à la France au sujet de la liberté de religion (lutte anti-sectes, burqa), alors même qu'ils ignorent tout de la situation locale.
La conjonction de ces deux croyances peut fort bien rendre plausible à l'esprit des électeurs que le problème des pays du tiers monde est qu'ils n'ont pas la technologie et qu'il suffirait de la leur apporter.
(*) Qui plus est, quand, comme moi, on entend parfois parler de la sûreté de fonctionnement de l'informatique embarquée médicale, on peut éprouver certaines inquiétudes à lui confier son anatomie.
Ah, la sûreté de fonctionnement vs l'erreur humaine...Il y a un vaste débat, et un équilibre délicat à faire entre informatique et contrôle humain. En matière d'informatique embarquée aéronautique, beaucoup ont attaqué les commandes de vol électriques des avions, en général pour dire que c'était retirer du contrôle à l'humain, que c'était de la machinisation, que c'est moins fiable... Reste néanmoins que si des accidents sont dûs à ces nouveautés, un certain nombre d'autres ont été prévenus aussi par ce progrès.
Pour ce qui est des robots médicaux, je ne sais pas ce qu'il en est pour la fiabilité théorique et réelle de ces machines, je sais juste que les chirurgiens tout ce qu'il y a de plus humains qui sont mauvais voire dangereux, il y en a, et pas qu'un peu!! Donc tout est affaire d'équilibre.
"pour certaines opérations de la prostate, les patients fortunés plébiscitent le robot chirurgical"
Il y a pire : pour le cancer de la prostate les gens veulent de plus en plus être traités avec un accélérateur à protons (100 000$ par patient), alors qu'en effet, rien n'indique que ce soit plus efficace qu'un traitement classique 5 ou 10 fois moins cher.
http://www.nytimes.com/2009/07/08/b...
@Pierre S.
C'est ce que je fais remarquer à mes amis américains. Ils dépensent au final beaucoup plus d'argent que les Français pour la santé (je n'ai plus les chiffres en tête mais je crois que c'est pas loin d'un facteur ~1,5 normalisé au PNB) avec des résultats qui sont au mieux relativement médiocres. Après c'est juste une constatation et je ne sais pas dans quels domaines la différence est la plus marquée. Je mettais naïvement ça sur le compte des consultations chez le généraliste à 150$ les 10 minutes pour un rhume (remboursement partiel si vous êtes assurés).
@Med: L'attitude me semble clairement être « pas assez cher, mon fils ».
le prix des consultations joue aussi. Mais il y a d'autres causes plus importantes comme la course à l'armement juridique entre les compagnies d'assurance, qui dépensent beaucoup pour repérer les clients à risque ou pour rembourser le moins possible. Il y a un article d'éconoclaste sur le sujet (datant de 2007) :
http://econoclaste.org.free.fr/dotc...
"la course à l'armement juridique entre les compagnies d'assurance, qui dépensent beaucoup pour repérer les clients à risque ou pour rembourser le moins possible."
Heu oui comme toute entreprise privée qui tente de gérer ses risques au mieux pour ne pas couler...et ca les assurances savent faire. Le pb ne vient pas de ces boites mais du système juridique.
Le problème vient surtout du fait que c'est un jeu à somme nulle (négative si on inclus les frais juridiques), car il faut bien que même les mauvais clients avec des facteurs de risque terribles soient soignés, et il faut bien que quelqu'un paye les frais médicaux. Par conséquent les compagnies d'assurance ne réduisent pas le risque, elles le transfèrent à d'autres. Globalement, il y a un gros gaspillage, car X% des ressources du pays sont consacrée à une activité socialement inutile.